Cartier Les Heures du Parfum L'Heure Convoitée (2011): Oeillet Oeillade {New Fragrance} {Perfume Review & Musings}

Cartier_L'heure_convoitée.png

L'Heure Convoitée II est la dernière oeuvre en date et la neuvième à paraître dans la collection très exclusive de chez Cartier, Les Heures du Parfum. Cette bibliothèque d'oeuvres choisies est destinée à regrouper les compositions dites plus libres de la parfumeuse-créatrice Mathilde Laurent qui se trouve être d'autre part le nez-maison, chargée de créer tous les jus lancés sous le nom de la marque.

Est-il besoin de le rappeler? Les Heures du Parfum sont à Cartier ce que Les Exclusifs sont à Chanel, Hermessences à Hermès et la Collection Privée à Dior. Ce sont là les prés carrés des parfumeurs où l'on s'attend plus qu'ailleurs à trouver des idées neuves et personnelles, les perles fines de la parfumerie contemporaine. Ces composition s'offrent même parfois le luxe d'être des esquisses plus que des oeuvres magistrales, car semble t-il, les idées priment et l'art est difficile.

La composition, un fleuri oriental poudré, s'inspire, entre autres, de la couleur rouge désir et de l'atmosphère de sensualité mutine exprimée par Juliette Gréco chantant "Déshabillez-Moi", une chanson écrite par Robert Nyel and composée par Gaby Verlor. Des notes comme des allusions au fétichisme sexuel sont censées suggérer différentes parties du corps féminin. L'Heure Convoitée est présenté comme un parfum d'oeillet accompagné de notes de roses rouges et d'iris....

Notes officielles : chair de fraise, crème de marrons, notes irisées, rose rouge, notes giroflées, notes vertes et fraîches;

La composition s'ouvre sur une impression d'humer les rouges et les verts vifs d'un géranium qui sentirait l'oeillet. Un très beau beurre d'iris à la fois mouillé et crémeux succède à cette première sensation avec un murmure animal perçu sous la surface des apparences (un ambre gris synthétique.) Une note de fruit frais entre carambole et ananas (l'aldéhyde C16 fraise sent un peu de ces deux fruits avant de se stabiliser autour de la note "fraise") apporte une tonalité fruitée-florale légèrement verte à l'ensemble. Une base orientale, vanillée et animale plus chaude se développe en contrepoint avec des nuances même de fourrure, virant un peu vers la rude peau de bête. On retrouve là un peu de l'esprit animal, chaud et sec de Untitled de Martin Margiela, avec ses relents herbacés de paysage méditerranéen.

La fragrance développe plus avant son accord d'oeillet pimenté, giroflé, et poivré ainsi que d'iris riche et suave. Des odeurs de maquis corse contredisent un peu l'impression de luxe feutré et salonard offert par l'accord floral.

De manière un peu surprenante, le parfum prend un virage presque masculin, boisé-animal assez reconnaissable. Il n'y a que la pointe - plus qu'une pointe - d'oeillet qui prête alors une personnalité plus florale et coquette de dandy à cette sensation de respirer une senteur masculine assez typique. On pense à des références comme Grey Flannel de Geoffrey Beene, mais lequel serait devenu tout d'un coup un parfum à l'oeillet épicé et plus coup-de-poing dans son effet olfactif voulu.

Mais surtout on pense à une référence récente, à ce qu'aurait pu être Vitriol d'Oeillet par Serge Lutens si ce dernier avait proposé une interprétation plus litterale de la senteur annoncée, ce qui ne fut pas le cas, ni le but recherché. Vitriol d'Oeillet est un parfum d'oeillet qui se veut être déconstruit. On sait que Mathilde Laurent voue une grande admiration à l'esthétique olfactive de Serge Lutens; on est donc peu surpris de ressentir qu'il y a là une possible filiation conceptuelle. D'autre part, cette note de parfum masculin typique se retrouve également dans Vitriol d'Oeillet.

Cependant, L'Heure Convoitée va plus loin que combler un manque ou répondre à une interrogation sur une composition à l'oeillet où tout le monde cherche en vain le vitriol tant attendu. Un accord crémeux et même farineux de marron s'immisce dans la composition apportant une tonalité gourmande, volontairement légèrement incongrue, mais en fin de compte harmonieuse.

Mathilde Laurent a pris le parti de proposer un parfum sentant fortement l'oeillet. L'oeillet est entêtant, poudré, épicé, presque médicinal dans ses excès aromatiques. Le beurre d'iris apporte cette base luxueuse et douce qui permet au parfum d'être non seulement un peu gueulard, un peu Gavroche, mais également doux comme le grain de la peau. C'est le côté titi et révolutionnaire du style parisien affleurant sous le couvert de l'élégance. Mais l'iris est là pour la note de lingerie fine et peau de dame soyeuse. La cause du luxe à la française est sauve.

L'oeillet dont l'étymologie veut dire "petit oeil" ici signifie la passion et invoque le terme d'oeillade surtout si l'on pense aux yeux sertis de khôl de Juliette Gréco. Cet oeillet n'a pas peur d'être excessif et presque répulsif dans son manque de retenue. Juliette Gréco chantant "Déshabillez-Moi" aguiche et repousse tour à tour, retient, afin de donner une leçon sur l'amour courtois moderne. Cet oeillet on le retrouve d'ailleurs jusque dans la bouche car il devient intrusif de par sa puissance de diffusion.

Le parfum en évoluant vers ses notes de fond devient plus rosé, sentant peu à peu plus franchement la rose rouge, qui est ici une allusion voulue à des dessous rouges affriolants.

Les personnes en quête d'un véritable parfum à l'oeillet, un peu brut de coffre, mais complexe, tout en étant clairement reconnaissable, tel un soliflore, sont invitées à essayer cet opus. D'un point de vue esthétique, il est intéressant de le faire dialoguer avec Vitriol d'Oeillet de Serge Lutens. On peut remarquer toutefois que comme pour beaucoup de créations dites de facture "niche", une fois que la composition a dit ce qu'elle était censée dire, elle s'arrête de signifier de manière assez abrupte. Il n'y a pas vraiment de prolongement dans le mystère ou de surprises arcanes ultérieures. Traduction en clair: on n'a pas ici un sillage interminable dans son développement. Il s'agit d'une oeuvre finie, circonscrite, plus intellectuelle qu'artistique, pourrait-on presque dire. Ou alors, c'est qu'il s'agit d'un exemple d'art conceptuel olfactif.

Une version anglaise de ce texte est disponible ici / An English version of this text is available here.

Related Posts

Leave a Comment