Chanel Les Exclusifs Eau de Cologne (2007): En souvenir de Gabrielle Chanel L'exotique {Perfume Review}


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L-Letter-TSS-Quaint-B.jpgL'Eau de Cologne de Chanel fait partie de cette librairie parfumée tendance "niche" apparue en 2007, Les Exclusifs. Je disais à ce moment-là que ce parfum-ci pouvait être regroupé avec Bel Respiro comme représentant la partie de la collection destinée à incarner la fraîcheur. Trois ans et des poussières plus tard en sentant L'Eau de Cologne de près, je dois dire que je suis plus frappée par la dualité de cette composition et son désir de ruer un peu dans les brancarts des conventions sociales que par son adhérence au grand style de l'eau de Cologne du 18ème siècle, même en plus minimaliste. A l'origine de cette composition explique-t-on chez Chanel, se trouve une formule de 1929 pensée par la Grande Mademoiselle, titre Grand Siècle justement, recouvrant une réalité biographique plus complexe ainsi que plusieurs adaptations cinématographiques l'ont révélé récemment au grand public. De même cette cologne que l'on s'attend à être Grand Siècle est moins classique qu'elle n'en a l'air.

L'élégance ici se marie pour moi au parcours plus imprévisible de l'aventurière ou de l'irrégulière ainsi qu'elle fut surnommée par Edmonde Charles-Roux qui a tout de même eu un peu trop tendance à vouloir l'épingler et l'expliquer par le déterminisme social et y a failli en fin de compte. En effet, nous dit-elle, comment expliquer ce mystère quasi marial, le fait qu'une descendante de pauvres paysans auvergnats, itinérants qui plus est - des bouseux quoi - ait put ne pas rester les pieds dans la même gadoue ancestrale? Lire le livre - que je n'aie pu terminer pour l'instant - c'est lire l'histoire de Chanel, la paysanne et le génie, vue au travers de la lorgnette de quelqu'un qui croit dur comme fer que ce genre de choses tient du miracle sociologique et aime à rappeller sans arrêt que Coco sent quelque chose d'autre que le No.5, quelque chose se situant sur le spectre des odeurs allant du crottin à la cocotte....

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Notes: néroli, bergamote, petitgrain, herbes, épices.

L'Eau de Cologne de Chanel composée par Jacques Polge et sans doute par Christopher Sheldrake aussi, s'ouvre sur une impression mélangée de cologne blanche presque médicinale et de fruits méditerranéens juteux très citronnés. Les sensations de fraîcheur et d'exhubérance typiques d'une eau de cologne - elle remplaçait souvent l'eau dans les salles de bain d'antan - sont ici présentes en notes de tête mais rendues plus discrètes et suaves dans le registre d'une conversation de voix polies dans un salon où les bruits sont communément étouffés par une moquette de haute lisse; l'iris que l'on sent plus distinctement dans le fond de la composition contribue comme à son habitude à une impression d'élégance patricienne suggérant le murmure plus que les éclats de rire de lavandières au pied d'une fontaine. 

Une note boisée de cèdre se profile derrière cette ouverture fraîche rappelant à ce point l'Eau de Cologne de Thierry Mugler (2001) composée par Alberto Morillas, une cologne moderne de référence ainsi que je m'en aperçois de plus en plus en sentant ses nombreux descendants.

Une troisième tonalité clé se dégage de cette composition, celle d'une note cumin noir/carvi, apportant sa senteur ambiguë de peau humaine suintant de chaleur et de d'émotion sous le soleil des tropiques. On pense à ce moment-là à l'Eau d'Hermès composée par Edmond Roudnitska, un parfum censément léger de par son nom mais dans les faits eau brûlante, sensuelle, évocatrice ô combien de la chair impudique. Bien entendu, je pense également et peut-être même plus encore au traitement de cette note cumin telle qu'elle apparut dans Kingdom de Alexander McQueen (2003), signé par Jacques Cavallier, un parfum bien connu lui aussi pour sa note de draps froissés. 

Il me souvient avoir lu ou peut-être vu une photo du parfumeur Jacques Polge officiant près de ses mouillettes et d'un plateau de parfums présentant les derniers lancements du marché. Le nez maison de Chanel avoue bien volontiers ne pas travailler dans l'abstraction ni dans le déplacement dans la campagne impressioniste mais de puiser des idées dans les parfums eux-mêmes. Dans l'ouvrage de l'historienne du parfum Annick Le Guérer Le parfum des origines à nos jours on trouve même une citation qui explique cette démarche généalogique consciente de manière très explicite. Ainsi, Jacques Polge lorsqu'il explique ce qu'est la parfumerie française l'interprète comme une école de parfumerie se pliant plus volontiers que l'américaine à la tradition et se sentant peut-être même investie d'un devoir de transmission patrimoniale. Ainsi - et là je fais court - il dit "Pour faire quelque chose de nouveau en parfumerie, il faut avoir intégré ce qui existe déjà."

L'Eau de Cologne de Chanel est à mes yeux exemplaire de cette démarche réfllexive: elle semble offrir ses beaux appâts, c'est à dire ses ingrédient naturels de grande qualité pour lesquels Chanel est réputé, en début de développement, puis à y bien réfléchir, elle emprunte à l'accord de la cologne musquée et diffusante de Mugler et enfin elle contrebalance cette note de musc blanc avec la note plus charnelle de frictions des corps, hommage presque obligé à la sensualité latine.

Ces trames se tissent pour finir par offrir une eau de cologne fine mais non éthérée, avec des notes sèches, mais aussi fruitées, à la fois élégante et un peu aventurière. Ceci pourrait être le parfum d'une lady anglaise dans un roman d'Agatha Christie où un meurtre est à résoudre à l'ombre de capelines blanches et des voiles immaculées d'un yacht glissant lentement au fil du Nil.

Il s'agit pour moi finalement moins d'une eau de Cologne Grand Siècle que d'une eau de cologne épicée, exotique, un peu mystérieuse de par ses tonalités discrètes, à la fois solaire et luxueusement calme. Elle sent moins le néroli des jardins de Versailles qu'elle ne finit par évoquer une chambre d'hôtel dans un pays tropical à l'air lourd à peine remué par un ventilateur paresseux et indifférent, première étape de la désorientation des sens et de la vie dans un récit d'aventure. Le fait que l'on quitte les salons de la rue Cambon pour se retrouver dans Le salaire de la peur ou dans Mort sur le Nil, ou dans un marché aux épices, ou du moins qu'une ambivalence puisse être perçue par le nez n'est pas étonnant à mon sens si l'on pense que la formule d'origine est censée avoir conservé la patte de Chanel elle-même. La dureté réaliste -Vionnet offrait des chaises à ses petites mains, Chanel, des tabourets- l'aventurisme social et même son passé de grande maîtresse - sinon de demi-mondaine - d'hommes riches et influents font partie de son histoire. L'esprit de créativité et la vision de Chanel, sont eux moins réductibles, mais du moins l'on ne peut s'étonner de sentir un effet de sensualité avérée et un élément de prosaïsme - l'anti-propre, l'anti-savon que pourtant elle allait voulu intégrer au No.5  - dans une Eau de Cologne authentiquement vue par Chanel.

On peut se demander aussi si la Grande Mademoiselle rêvait de tropiques, de souffle chaud, d'ombre à quarante degrés. Son amour du gardénia, sa fleur fétiche, pourrait pointer dans cette direction, à la fois pleine d'élégance et de langueur exotique non complètement exprimée. Des noms de parfums Chanel tels que Bois des Iles, Sycomore, Gardénia, Coromandel tout comme son goût iconique pour les paravents chinois laqués sont comme des hublots ouverts sur la tradition discrète d'exotisme de chez Chanel.  

Photo: Life Magazine  

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