Jean Paul Millet Lage Evoque La Mémoire de Jean François Laporte, Jardinier-Parfumeur et l'Une des Figures Fondatrices de la Parfumerie d'Auteur (1938 - 2011)

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Jean François Laporte, l'un des maîtres à penser en action de la parfumerie d'auteur, celle s'inspirant avant tout de la démarche de création - plutôt que du style de vie - vient de s'éteindre le 7 novembre 2011. Il avait 73 ans. Connu pour sa discrétion, nous nous sommes tournés vers l'un de ses proches en parfumerie, Jean Paul Millet Lage, qui reprit Maître Parfumeur et Gantier des mains de son fondateur. Il fut aussi son disciple. Millet Lage retrace quelques moments clés du parcours de Jean François Laporte et rend hommage à la synthèse haute qu'il incarnait entre le chimiste et le "jardinier-parfumeur".

TSS - Comment avez-vous fait la connaissance de Jean-François Laporte, de ses oeuvres?

Jean Paul Millet Lage : J’ai connu Jean François Laporte en 2 temps.


Tout d’abord, dans le début des années 1980, j’étais un client de L’Artisan Parfumeur. Ensuite, je suis devenu client (1989) de Maître Parfumeur et Gantier lorsque, suite à un voyage à l’Ile de La Réunion, je cherchais un parfum Vétiver fidèle à la senteur de profondeur de cette plante découverte dans cette Ile. Ce fut Route du Vétiver, parfum masculin qui existe toujours chez nous.


Pour le dossier Maître Parfumeur et Gantier, en 1996, j’ai rencontré Jean François Laporte par l’entremise de Roland de Saint Vincent (ami de famille) avec lequel il avait déjà réalisé beaucoup de belles choses et plus particulièrement la création de Sisley....

- Quand avez-vous décidé de reprendre Maître Parfumeur et Gantier? Comment s'est passé l'après-J-F Laporte? Continuait-il de vous conseiller?

J’ai acquis Maître Parfumeur et Gantier en 1997 après avoir passé 1 an à ses côtés. Ensuite, nous avons continué à travailler ensemble pendant 4 ans jusqu’en 2001, période à partir de laquelle JF Laporte a décidé de se consacrer à son splendide jardin du parfumeur dans sa propriété de Mézilles dans l’Yonne, sans oublier son incroyable collection de Dahlias. Une des plus belles d’Europe à l’époque. A ce moment-là, il a cessé tout travail avec nous. Je continuais à le voir régulièrement mais sans évoquer MPG. Question de pudeur vis-à-vis du créateur qui m’avait cédé son affaire.

En tant qu’élève, j’ai donc bénéficié de son savoir pendant 5 ans. C’était superbe et en même temps si peu quand on a tant de choses à apprendre.

- Comment comprenez-vous la passion de Jean François Laporte vouait aux dahlias, qui sont par ailleurs des fleurs magnifiques? Y voyez-vous un lien avec son attirance pour le baroque, terme que vous évoquez également à propos de son travail?

- D’une part, il était passionné par le nombre immense de variétés de dahlias. Dans sa quête de ces plantes, il y avait toujours des routes à parcourir ce qui satisfaisait son esprit de grande curiosité.


Ensuite, un jour,  il m’a dit qu’un certain paradoxe l’avait aiguisé : être un créateur de parfums et en même temps un amateur de plantes sans lien possible avec la parfumerie.


Les formes de certains dahlias pourraient effectivement rappeler les lignes baroques nées aux 16ème et 17ème siècles mais il n’y aurait que coïncidence.


JF Laporte a voulu reprendre un des codes des siècles auxquels il se référait pour créer Maître Parfumeur et Gantier avec la reprise du nom de la corporation des parfumeurs de l’époque.  

- Savez-vous ce que J-F Laporte pensait de la parfumerie dite "de niche"? Aimait-il cette expression?

Il avait une grande affection pour cette parfumerie dont il a été le grand inspirateur même s’il n’en aimait pas la dénomination. Il est vrai que Parfumerie de niche n’est pas une expression très heureuse. Il préférait parler de parfumerie de créateur. D’ailleurs aujourd’hui, d’autres termes sont utilisés : Parfumerie d’Auteur, Parfumerie de Créateur, Parfumerie Artistique, Parfumerie Alternative (bof) et je dois en oublier.

Il a réellement lancé une tendance de fond  avec une imagination et une audace méritantes en 1976 quand il a créé avec vitrine sur rue l’Artisan Parfumeur. Puis d’autres l’ont suivi.

- Quelles sont ses créations les plus représentatives pensez-vous?

JF Laporte a toujours eu 2 fondamentaux dans ses créations. Le Musc et l’Ambre. Aussi, les créations les plus représentatives de son savoir-faire sont l’Ambre Précieux et Fraîcheur Muskissime.

Et je me dois de citer ce qui a été un plaisir immense pour une multitude de personnes et une révolution pour la parfumerie française : Mûre et Musc mais du temps où il avait l’Artisan Parfumeur.
 

- Comment expliquez-vous son désir et son énergie de créer des marques distinctes de parfumerie?

Vocation de créateur et esprit de grande indépendance ; puis faire fi des codes du moment pour promouvoir une vraie parfumerie à la française, représentative de la grande capacité créatrice qu’a eu celle-ci durant les 17ème, 18ème et 19ème siècles et non soumise aux impératifs du marketing. Il a été très démonstratif sur cet aspect lorsqu’il a créé Maître Parfumeur et Gantier en choisissant un style baroque affirmé, inusité, ce qu’il n’avait pas fait avec l’Artisan Parfumeur.

- Qu'aimait-il à dire concernant les parfums, la parfumerie ou les odeurs? Ses maximes? Ses bons mots?

JF Laporte n’avaient pas de phrases type, donc pas de bons mots ni maximes. Peut-être un bon mot tout de même : il aimait à dire que d’artisan il était passé maître. Il n’était jamais médisant sur quoi que ce soit ou qui que ce soit. Mais sa pensée pouvait être aperçue avec 2 signes : un sourire significatif de doute et/ou un « Oh, vous savez, rien n’est si simple » voulant dire par là que ce n’était pas la peine d’en parler car pas digne d’intérêt. Sur la parfumerie en général, plutôt ironiquement amusé de constater qu’il y avait entre 280 et 350 lancements annuels de parfums et désolé par la banalisation de nombre de créations.

- Pourquoi avait-il décidé de se retirer des affaires?

En 2001, il avait 62 ans je crois, et il lui tenait à cœur de créer son jardin du parfumeur. Ce jardin des senteurs, des plantes à parfums était une passion pour lui depuis longtemps. Il était déjà un grand collectionneur de dahlias, choix fortement anecdotique puisqu’on ne retire aucune essence de cette fleur. Il avait non seulement créé un magnifique lieu de visite mais il avait également conçu un parcours très pédagogique offert au visiteur pour que celui-ci puisse découvrir et comprendre facilement les étapes de la création d’un parfum. Ce jardin lui demandait un temps fou ce qu’il n’avait pas pu faire tant qu’il exerçait. En effet, il voulait toujours réaliser lui-même ce qu’il concevait.

- Quel est selon vous l'apport le plus important de Jean-François Laporte?

La personnalisation, l’individualisation du métier de parfumeur comme autrefois alors que les 2 premiers tiers du 20ème siècle avaient standardisé et industrialisé ce métier. Croissance incroyable (et méritée) des laboratoires.


- A t-il formé de jeunes parfumeurs?

Il n’a formé qu’une seule personne, à ses côtés depuis l’Artisan Parfumeur, à savoir Frédéric Stalin, qui travaille avec moi à la création des fragrances. Frédéric est le pivot dans nos travaux. Il a 27 ans de métier dont 17 passés avec JF Laporte dont il a tout appris.

- Savez-vous quels sont les parfums du patrimoine français ou mondial que JF Laporte aimait ou admirait plus particulièrement, ou qu'il aimait à donner en exemple dans son enseignement libre?

-JF Laporte ne citait jamais mais vraiment jamais qui que ce soit. Frédéric et moi ne l’avons jamais entendu prononcer le nom d’un confrère ou d’un parfum à titre de référence ou de reconnaissance.

J’en ai été le premier surpris comme par le fait qu’il avait refusé d’être membre de la Société des Parfumeurs Français. Il était très indépendant et le souci de cet état le faisait aller jusqu’à ne pas parler des autres. Mais surtout, il était inconcevable pour lui de citer une création externe. S’il avait de l’estime et de l’amitié pour quelques confrères, il n’en parlait jamais devant quelqu’un. Cela devait rester au sein de son bureau, entre nous.    

Désolé, mais là, je reste peu disert.

- Que pensait-il de la parfumerie contemporaine et de son avenir?

Il avait une grande et cordiale curiosité pour tout ce qui arrivait dans cet univers. Mais il portait aussitôt une appréciation de professionnel, plutôt tendre car il aimait voir que des personnes se lancent. Il pensait sincèrement que cette parfumerie de créateur était promise à un bel avenir mais qu’elle aurait, elle aussi, à gérer les problèmes inhérents à son succès à savoir ne pas se voir happer par les problèmes de marketing. Sur ce point, il était assez déçu par nombre de nouveautés. 

Et cela engendrait parfois des discussions fortes entre nous. Je vous donnerai 2 exemples :

- il ne voyait pas l’intérêt de participer à des salons internationaux – il réservait sa participation qu’aux salons ayant un lien très fort avec les jardins comme les Journées de Courson ou celles de société d’Horticulture de la rue de Grenelle. Pourtant, se faire connaître est un challenge important.

- il refusait de faire entrer MPG dans un grand magasin. Retard difficile à rattraper.

- Quel fut le rôle du Jardin du Parfumeur dans sa vie?

Essentiel : sa capacité à créer des parfums originaux et porteurs des valeurs de la parfumerie française tient vraiment à son goût et à sa très importante connaissance des plantes.

C’est ce que j’ai d’abord appris à ses côtés : bien connaître les différentes ressources que donne la nature pour pouvoir faire naître des senteurs uniques.

Je résumerai en disant qu’il avait réussi en lui une synthèse élevée entre le chimiste de formation et le jardinier avisé ; il était vraiment les 2 à la fois pour le plus grand plaisir et honneur de la parfumerie française. Et c’est le chimiste qui était au service du jardinier-parfumeur. Par le contraire, surtout pas.

JF Laporte était un puits de connaissances qu’il aimait partager avec son entourage, son auditoire. Tout le monde aimait l’écouter, l’entendre, apprendre de lui.

 

jardin_du_parfumeur_mezilles.jpgPhotos: Interflora; geo.fr

 

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